Les tarifs réglementés de vente de l’électricité doivent-ils disparaître ?

L’Autorité de la concurrence recommande de supprimer les tarifs réglementés de l'électricité alors que la Commission de régulation de l'énergie demande de patienter encore cinq ans. La décision est entre les mains du futur gouvernement.

Faut-il supprimer les tarifs réglementés de vente (TRV) d’électricité ? La question est posée depuis que l’Autorité de la concurrence s’est prononcée en ce sens. Elle recommande au gouvernement de travailler dès à présent à leur suppression. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) ne l’entend pas de cette oreille, estimant au contraire, qui faudrait maintenir ces tarifs pendant au moins cinq ans.

Les rapports remis fin novembre par ces deux instances répondent à une obligation légale qui prévoit une évaluation tous les cinq ans des TRV. Celle-ci doit être faite sur base de leurs rapports, par les ministres chargés de l’économie et de l’énergie. Le gouvernement (dès qu’il y en aura un) tranchera.

Un rôle d’amortisseur

Derrière ce débat technique en apparence, se cache une réalité concrète, celle des abonnements à l’électricité pour les particuliers et les professionnels ayant opté pour les tarifs bleus, le nom commercial des TRV. Ces contrats sont distribués par les opérateurs historiques, c’est-à-dire, EDF pour 95% du territoire et par des entreprises locales de distribution (ELD) pour les 5% restants, comme à Bordeaux, Strasbourg ou Grenoble.

Les TRV sont fixés par la CRE, qui les calculent deux fois par an, en prenant en compte la moyenne des prix sur le marché de gros de l’électricité et en y ajoutant les différentes taxes. Ils jouent donc un rôle d’amortisseur à la hausse quand les prix flambent et, revers de la médaille, à la baisse quand les prix chutent comme c’est actuellement le cas. Cette stabilité est plébiscitée par les consommateurs français : 59% des particuliers et 35% des petits professionnels y ont recours.

Un « obstacle au libre jeu de la concurrence »

Pourquoi alors vouloir les supprimer ? L’Autorité de la concurrence reproche aux TRV d’être un « obstacle au libre jeu de la concurrence et aux bénéfices potentiels de cette dernière – en termes de prix, d’innovation ou encore d’investissement ». En outre, les gouvernements successifs ont pris pour habitude de mettre l’accent sur l’évolution des prix des TRV uniquement, renforçant encore leur importance dans l’esprit des consommateurs, au grand regret des fournisseurs d’électricité alternatifs.

Lorsque le premier ministre sortant, Michel Barnier, promettait fin novembre une baisse de la facture d’électricité de 14% au 1ᵉʳ février 2025, il ne parlait en réalité que des contrats aux TRV distribués par les opérateurs historiques ou éventuellement, ceux des fournisseurs alternatifs qui dupliquent ces offres. En effet, les clients qui ont opté pour des contrats indexés sur l’évolution des prix de marché de l’électricité ont déjà vu leur facture baisser et risquent, au contraire, de subir une hausse des taxes au 1ᵉʳ février. D’autres contrats font référence aux TRV, pour indiquer que les tarifs pratiqués y sont inférieurs, par exemple de 25%, une façon d’intégrer dès à présent la baisse des prix de gros de l’électricité.

« Atténuer » les variations du marché

Toutes ces références apportent de l’eau au moulin du gendarme de la concurrence, qui estime que les TRV « envoient un signal directeur » à l’ensemble des fournisseurs. Pire, cela renforcerait « le rôle déjà très important d’EDF sur les marchés de l’électricité et son image auprès des consommateurs ». Et pour cause, EDF étant le principal distributeur de ces contrats TRV ! Certes, les consommateurs ont toute latitude pour changer de fournisseurs d’électricité. La manipulation se fait en quelques clics, à condition de prendre le temps de s’y consacrer.

L’Autorité reproche aussi à ces tarifs de ne pas avoir suffi à endiguer la flambée des prix de l’électricité en 2022-2023, puisque la mise en place d’un bouclier tarifaire a été nécessaire pour éviter de voir les factures des Français atteindre des sommets. Le diagnostic posé par le CRE ne diffère pas de celui de l’autorité de la concurrence. Le régulateur de l’énergie considère lui aussi que les TRV contribuent, sur une longue période, à « atténuer » les variations du marché et qu’ils jouent un rôle de repère pour les différentes offres. Surtout, la CRE souligne l’attachement des consommateurs à ces tarifs, alors que les offres de marché « sont largement moins chères, de l’ordre de 15 à 20% ».

La fin de l'Arenh

Mais là où l’autorité de la concurrence y voit un inconvénient, la CRE y voit un attachement. Le remède proposé n’est donc pas le même. Le régulateur de l’énergie estime donc qu’il faut maintenir le système en place pour les cinq prochaines d’années, avant une nouvelle évaluation, comme prévu par la loi.

Dans l’intervalle, le marché aura évolué. Tout d’abord par ce que le dispositif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) aura disparu – il prend fin au 1er janvier 2026. Ensuite parce que la CRE s’attend à une évolution de ses prérogatives, notamment avec de nouveaux pouvoirs de sanction et d’encadrement des fournisseurs d’électricité. Ces mesures, attendues depuis de longs mois, devraient, notamment, lui permettre de contraindre les fournisseurs alternatifs à disposer d’autant de volumes d’électricité que ceux qu’ils vendent. Cette garantie est destinée à éviter les déboires rencontrés par certains consommateurs en 2022 et 2023, avec des fournisseurs qui ont rompu des contrats d’approvisionnement, quand ils n’ont pas tout simplement mis la clé sous la porte.

Patienter encore cinq ans avant d’abandonner les TRV

La CRE a aussi mis en place une charte de bonnes pratiques qui a été signée par la quasi-totalité des fournisseurs, visant à aider les consommateurs à choisir leurs offres d’électricité (et de gaz). Les offres devraient ainsi être plus simples à comprendre et donc plus faciles à comparer. De quoi rassurer les ménages, qui seraient ainsi plus enclins à faire jouer la concurrence. Ce qui explique en partir pourquoi la CRE recommande de patienter encore cinq ans avant d’abandonner les TRV. Et comme pour le gaz, elle pourrait continuer à publier « un prix repère de vente » qui, comme son nom l’indique, sert d’indicateur aux consommateurs pour comparer les tarifs et aux fournisseurs pour les définir.

D’ici là, d’autres nouveautés pourraient voir le jour, comme la mise en place de nouvelles tranches d’heures pleines et d’heures creuses, voire, une différenciation tarifaire entre l’été et l’hiver, pour notamment mieux prendre en compte la production d’électricité solaire du pays. De quoi redonner du grain à moudre aux régulateurs, mais aussi au(x) futur(s) gouvernement(s) qui devront se prononcer sur le sujet.

Mis à jour le 11 Déc, 2024

Elsa Bembaron

Elsa Bembaron, grand reporter au Figaro, est une journaliste spécialisée dans les thématiques énergétiques et environnementales. Diplômée de l'EM Normandie, elle a débuté sa carrière en 1997. Avec plus de 25 ans d'expérience, elle décrypte des sujets complexes liés aux énergies renouvelables, aux politiques énergétiques et aux innovations du secteur de l’énergie.

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