L’eldorado des énergies renouvelables ?
La question est légitime. Selon les chiffres de l’exploitant du réseau électrique portugais (Redes Energeticas Nacionails), avec 103,6%, les sources d’énergies renouvelables du pays produites en mars 2018 (4812 GWh) ont dépassé la consommation électrique cumulée du Portugal (4647 GWh) sur la même période. Ces chiffres représentent en réalité le cumul sur un mois car en l’absence de stockage de l’énergie renouvelable produite, il y a eu des périodes où des centrales électriques thermiques (à combustibles fossiles) et des importations ont été nécessaires pour compléter l’approvisionnement en électricité au Portugal.
Ces déficits ont été contrebalancés par un surcroît de production d’énergies vertes à d’autres périodes. Le 14 mars 2018, un pic a même été atteint, le pays ayant généré 143% de sa consommation électrique grâce aux énergies vertes.
Cette politique volontariste du gouvernement de pousser le développement de la filière renouvelable incite les industriels à tenter de nouvelles méthodes et à innover. C’est, par exemple, le cas du bassin d’Alto Rabagão où le groupe Energias de Portugal (EDP) teste une technologie unique en Europe : l’association d’un barrage hydroélectrique et d’une centrale solaire flottante. Une innovation qui symbolise les ambitions de ce pays de 10 millions d’habitants, devenu l’un des champions européens des énergies renouvelables.
L’expérience d’Alto Rabagão est de petite taille : 840 modules photovoltaïques qui, bout à bout, occupent la surface d’un demi-terrain de football, au milieu d’une cuvette huit mille fois plus vaste. D’une puissance de 220 kilowatts, ils ne peuvent alimenter en courant qu’une centaine de foyers. Mais l’expérimentation, lancée à l’automne 2016, pour un coût de 450 000 euros, se révèle prometteuse.
“Le milieu aquatique refroidit les cellules photovoltaïques, ce qui accroît leur rendement de 4 à 10 %” indique Rui Teixeira, vice-président exécutif d’EDP. “En outre, le système n’a pas d’impact sur l’environnement, puisqu’il est intégré au barrage : il n’occupe pas de terres et ne nécessite pas de lignes électriques supplémentaires.”. La centrale flottante réduit même l’évaporation du réservoir et limite la prolifération d’algues, tout en servant de refuge aux alevins.
Selon l’association portugaise pour l’énergie renouvelable (APREN) et l’ONG ZERO, la production énergétique du mois de mars se traduirait par un « manque à émettre » de 1,8 million de tonnes de CO2 et une économie de 20 millions d’euros de quotas d’émissions.
Les énergies fossiles et les importations ont cependant dû encore assurer la stabilité des réseaux pendant certaines heures, mais ces périodes ont été équilibrées par un surplus de production verte à d’autres moments. En ce qui concerne le prix de l’électricité, c’est aussi une bonne nouvelle, puisqu’il devrait avoir chuté de 43,94 euros par MWh en mars 2017 à 39,75 euros par MWh cette année.
Les défis structurels
Vouloir dépendre cependant à 100% des énergies renouvelables aujourd’hui avec les technologies actuelles n’est pas évident. En effet, nous sommes encore dans l’incapacité de stocker des quantités d’énergies aussi grandes, et l’énergie produite doit être consommée quasiment immédiatement.
Le saviez-vous ?
En mars 2018, le Portugal a produit plus d’énergie renouvelable qu’il n’en a utilisé. Mais le surplus d’énergie n’est pas utilisé, faute d’interconnexion entre le pays et le reste de l’Europe : un problème dont le pays est conscient. En décembre 2018, le Premier ministre, Antonio Costa, a annoncé qu’il organiserait un mini-sommet avec son homologue espagnol, Mariano Rajoy, pour discuter interconnexion. Le président français et le président de la Commission européenne, Emmanuel Macron et Jean-Claude Juncker, pourraient aussi être présents.
Les États membres de l’UE sont censés atteindre un objectif de 10 % d’interconnexion d’ici 2020. Un dixième de la production d’électricité devrait alors pouvoir être exporté. L’Espagne et le Portugal font néanmoins partie de la douzaine de pays à la traîne.
Il est donc logique que les chantiers se multiplient pour pallier à ce problème. Le développement d’un réseau d’interconnexion électrique entre le Maroc et l’Europe se concrétise.
Une ligne de transport électrique exige d’importants investissements, le coût de cette ligne devrait revenir à 500 millions d’euros, selon Aziz Rabbah, ministre de l’énergie, des mines et du développement durable marocain.
Les opportunités
L’augmentation importante du nombre de batteries lithium mises sur le marché ces dernières années a entraîné un véritable boom de la filière lithium mondiale. La demande augmente chaque année, elle pourrait ainsi atteindre 50 000 tonnes dès 2025. Des entreprises se sont spécialisées dans l’extraction du lithium, et quelques pays, dont le Portugal, se spécialisent dans la production de ce métal vital pour les nouvelles technologies.
Le saviez-vous ?
En l’espace de seulement trois ans, la valeur marchande du lithium a été multipliée par trois. De 2003 à 2016, le prix de la tonne est passé de 2000 à plus de 22000 dollars. D’après les estimations de la Commission européenne, le marché européen des batteries pourrait valoir 250 milliards d’euros par an dès 2025, majoritairement porté par le développement des voitures électriques. .
Le Portugal est déjà bien placé dans la future course au lithium. En Europe, c’est le principal producteur de lithium grâce à ses importants gisements. Au niveau global, le Portugal représente à lui seul 11% du marché européen. Dans le nord du Portugal, l’entreprise Lusorecursos, spécialisée dans l’extraction, gère le plus grand gisement d’Europe. Le pays compte construire ses propres usines de traitement de lithium. Ainsi, elle pourrait vendre un produit déjà transformé aux fabricants de batteries. C’est également l’opportunité de développer de nouvelles technologies qui amélioreront le stockage d’énergie dans des batteries pour sa filière d’énergies renouvelables.
Les efforts de décarbonation portugais sont un succès, mais la place du pays, aux confins de l’Europe et avec l’Espagne comme seul voisin, pourrait freiner le développement de son énergie propre. Les interconnecteurs, et en particulier les câbles électriques, sont un élément essentiel de l’Union de l’énergie pour assurer un vrai marché unique de l’électricité que souhaite l’Union Européenne. Ils permettent en effet de faire circuler les surplus produits d’un État à l’autre en fonction de la demande. Cependant, la volonté du Portugal d’être un acteur majeur des énergies renouvelables a permis la création d’une filière innovante et à forte valeur ajoutée.
Commentaires