Alors qu’il s’était engagé fin 2023 à débattre du projet de loi de programmation sur l’énergie et le climat à l’Assemblée Nationale, le gouvernement a fait marche arrière le mercredi 11 avril. C’est donc par décret que l’exécutif fera l’annonce de la troisième promulgation pluriannuelle sur l’énergie. Un choix qui inquiète les ONG et les députés.
Colère à l’Assemblée Nationale. La loi de programmation énergétique, qui devait déterminer la part accordée aux énergies renouvelables, nucléaires et fossiles dans le mix énergétique français ne sera pas débattue par les députés. Roland Lescure, ministre de l’Industrie, a annoncé la décision du gouvernement de recourir à un décret le 10 avril au Figaro. Cette mesure a été officiellement communiquée par le cabinet du ministre lors d’un point presse le 11 avril.
L'annonce d'un décret ravive les interrogations des ONG environnementales et des députés, alors que le Haut Conseil sur le climat signalait déjà le retard du gouvernement sur la question. En effet, le projet de loi, qui devait prévoir l’avenir et le plan d’attaque énergétique de la France jusqu’en 2035 était attendu avant le 1er juillet 2023. Un souci “de rapidité et d’efficacité
”, selon le cabinet de Roland Lescure, qui permet surtout à l’exécutif de contourner le risque d’une absence de majorité.
"Une guerre de religion
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Promise par Emmanuel Macron lors d’un déplacement à Belfort en 2022, la loi de programmation énergétique était comprise par la loi Énergie-Climat qui prévoyait un texte législatif permettant de “déterminer les objectifs et fixer les priorités d’action de la politique énergétique.
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La marche arrière du gouvernement suggère une volonté d’éviter les dissensions qui agitent les députés, faisant craindre à l’exécutif des votes contraires à ses projets sur le plan énergétique. En effet, la droite et l’extrême-droite se positionnent en pro-nucléaires, opposés au développement de parcs éoliens. La gauche, à l’exception du Parti communiste, plébiscite quant à elle une augmentation de la part des énergies renouvelables, et s’oppose à la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Une situation délicate pour le gouvernement : « À l'assemblée, il y a une vraie guerre de religion entre pronucléaire et pro-énergies renouvelables. Or, nous avons vraiment la volonté d’être efficaces, rapides et de donner de la lisibilité. »
Alors que les députés ne seront concernés que par le vote d’une loi sur la protection des consommateurs par rapport aux fournisseurs d’électricité, le gouvernement a annoncé la création future d’une consultation publique sur la programmation énergétique. Une tentative de calmer l’indignation publique suite à l’annonce de l’abandon du débat parlementaire.
L’entourage du ministre a d’autre part indiqué que le décret de programmation énergétique fait déjà l’objet de “nombreux travaux menés au préalable, ayant associé des parlementaires.
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Le gouvernement a fixé une date de publication du décret “avant la fin de l’année.
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Quel avenir énergétique pour la France ?
Pour justifier le recours au décret, Roland Lescure a rappelé les impératifs européens, et l’urgence des mesures : “de toute façon, pour atteindre la neutralité carbone 2050, on n’a pas le choix, il faut pousser tous les curseurs.
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La cible à l’horizon 2035 a déjà été annoncée : doubler “la production électrique bas carbone française de 450 à 650 téwattheures
”, avec en filigrane l’objectif de faire retrouver au parc nucléaire déjà existant “une production minimum de 360 térawattheures conforme à son niveau historique, avec un objectif à 400.
” Le ministre indique qu’aucun nouveau réacteur ne pourra être déployé avant cette date.
L’exécutif a également réaffirmé son engagement envers les énergies renouvelables, dans la lignée des décrets promulgués les jours passés : “multiplier par cinq le photovoltaïque, par cinq le gaz vert, par deux la chaleur renouvelable et les réseaux de chaleur, et par deux les éoliennes terrestres.
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Un objectif ambitieux, complété par des chiffres précis : l’électricité solaire atteindrait 100 GWh de capacité et 93 TWh de production. D’autre part, les éoliennes offshore font déjà l’objet d’un pacte, signé avec l’industrie, qui fixe une capacité de 18 GWh installée en 2035, et 40 en 2050. À ce sujet, le ministre ajoute : “Cela implique la construction de 1000 mâts dans nos eaux.
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La question des éoliennes terrestres est traitée avec la plus grande prudence par Bercy, qui connaît les réticences de la droite, mais également l’opposition locale.
Roland Lescure affiche néanmoins sa confiance vis-à-vis du respect des impératifs européens. Il a ainsi affirmé “qu’en 2035 plus de 50% de l’énergie consommée en France sera décarbonée.
” Une façon détournée de rappeler la position pro-nucléaire du gouvernement, qui soutient l’inclusion de cette technologie dans la catégorie des énergies renouvelables.
Une consultation populaire
Malgré l’annonce de ces projets ambitieux, l’exécutif semble avoir conscience des oppositions que peuvent susciter l’installation de tels dispositifs - et notamment des éoliennes terrestres. La consultation publique aura donc pour but de compléter les études menées en amont du projet de décret.
Roland Lescure explique les modalités de la consultation, tout en affichant la fermeté de l’exécutif quant à ces mesures : “Nous voulons être ambitieux et efficaces, même si cela ne va pas toujours faire plaisir aux voisins. Nous allons saisir la Commission nationale du débat public par courrier cette semaine pour accompagner cette concertation. Elle durera deux à trois mois.
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Physique ou en ligne, la consultation portera seulement sur la manière de parvenir aux objectifs fixés par le gouvernement, et soulève déjà de nombreuses questions : où privilégier l’installation des panneaux solaires, alors que le décret sur l'agrivoltaïsme et le pacte solaire prévoient l’accélération de la production de panneaux photovoltaïques français ? Quant au biogaz, faut-il mettre l’accent sur les grandes unités, ou privilégier les petits méthaniseurs ? Autant de questions qui suggèrent la difficulté du défi fixé par le gouvernement.
La question brûlante de l’éolien est soulevée par Roland Lescure : “Sur l’éolien terrestre, par exemple, le doublement des capacités de production se fait-il en doublant le nombre de mâts ou en doublant la puissance des mats installés ? Comment s’assurer que les régions où il n’y a pas d’éoliennes contribuent à l’effort collectif ? Alors que dans certaines, ce n’est pas le vent qui manque, mais la volonté d’y aller.
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Un débat public qui risque de rappeler les dissensions présentes au sein de l’Assemblée.
Un procédé jugé "peu démocratique
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En réponse à l’annonce de l’exécutif, les ONG dénoncent déjà une décision hors la loi
et peu démocratique. Anne Bringault, directrice des programmes au Réseau Action climat explique pourtant que “le Code de l’Énergie est très clair : il aurait fallu une loi.
” En effet, la loi Énergie-Climat de novembre 2019 établit qu’un texte législatif de programmation doit fixer en amont d’un potentiel décret les grands objectifs.
L’article L100-1A de la loi dispose ainsi : “Avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, une loi détermine les objectifs et fixe les priorités d’action de la politique énergétique nationale pour répondre à l’urgence écologique et climatique.
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En retard par rapport à la date butoir, le gouvernement défie aux yeux des ONG et des députés un texte pourtant adopté sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron.
Or, l’inquiétude est grandissante : Nicolas Nace, chargé de campagne énergie chez Greenpeace France, dénonce notamment un manque de vision à long terme, qui ne permet pas de “sécuriser les acteurs
”, pour encourager, par exemple, l’investissement dans les énergies renouvelables ou la rénovation énergétique.
Quoique le cabinet de Roland Lescure ait affirmé la “solidité juridique
” du projet, les objectifs fixés semblent trop peu ambitieux pour les ONG : favorisant une production du nucléaire, le gouvernement se contenterait, aux yeux de Nicolas Nace,"d’aller au minimum de ce qui doit être fait au niveau européen.
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Les chiffres annoncés pour les énergies renouvelables laissent enfin sceptique : “multiplier par deux l’éolien ? C’est continuer comme on faisait les années précédentes”
, indique Anne Bringault, qui rappelle que l’objectif de baisse de consommation d’énergie de 30% d’ici 2023 est déjà en péril.
Greenpeace dénonce un “mépris total et inquiétant du pouvoir législatif
” et une régression potentielle pour les énergies vertes.
Protéger les consommateurs
Si les parlementaires n’ont plus leur mot à dire sur la programmation énergétique, ils devront néanmoins voter un texte de loi, dont le projet a été annoncé par le cabinet de Roland Lescure.
Il s’agira de mettre en place plusieurs dispositifs pour protéger le consommateur vis-à-vis des fournisseurs d’énergie (évolution des tarifs, fiabilité du fournisseur, modalité des contrats…)
Roland Lescure a ainsi expliqué : “Je ne veux pas jeter l’opprobre sur toute une profession, mais il faut de la transparence sur les factures de gaz et d’électricité, sur les règles d’indexation et une bonne information sur les règles de résiliation des contrats.
” Des mesures plébiscitées depuis plusieurs mois par les parlementaires.
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