Toutes les routes mènent en… Chine ?
Initié en 2013 lors d’un discours du président chinois Xi Jinping à Astana (Kazakhstan), le projet des “Nouvelles Routes de la Soie” se traduit par la création de deux routes formant une ceinture: “Yi Dai Yi Lu” ou en anglais “One Belt, One Road” (OBOR).
L’ambition est de construire de nouvelles infrastructures du Pacifique jusqu’à la mer Baltique. Schématiquement, deux « routes » seraient tracées : au Nord, une « ceinture » empruntant en partie l’ancienne route de la Soie et au Sud, l’objectif serait de développer les voies maritimes par l’Océan Indien jusqu’à la mer Méditerranée en passant par la mer Rouge.
Ce sont 64 pays asiatiques, moyen-orientaux, africains, d’Europe centrale et orientale qui seraient concernés par le projet. Les investissements en infrastructures durables (ports, routes, voies ferroviaires…) constituent l’architecture du projet puisque l’objectif est d’assurer une présence économique dans ces pays, la Banque asiatique de développement estimant à 26 trillions de dollars les besoins nécessaires entre 2016 et 2030 en Asie. D’après le centre de recherche australien Low Institute, ce sont quatre objectifs économiques que vise la Chine à travers “ One Road One Belt”.
- Développer les régions en retard
- Favoriser la montée en gamme de l’industrie
- Résoudre le problème des surcapacités industrielles chinoises
- Sécuriser son approvisionnement en énergie et matière première
La Chine souhaite désenclaver certaines régions orientales pour mieux les intégrer au processus économique. Un des projets d’axes routiers majeurs est la création d’un corridor menant au Pakistan pour atteindre la mer d’Arabie, c’est le projet Kashgar-Gwadar. Plusieurs milliards de dollars sont dépensés pour rejoindre l’Europe en passant par le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Turkménistan, l’Iran et la Turquie. Deux autres routes sont envisagées pour rejoindre l’Europe: une passant par le Kazakhstan et la Russie, et l’autre traversant le Kazakhstan via la mer Caspienne. Les travaux ne sont pas financés par l’Union européenne, qui n’apporte aucune aide logistique. Les bailleurs sont la Banque européenne de développement, la Banque asiatique de développement, la Banque de développement islamique. Cette route permettra notamment de faciliter le commerce entre la Chine et les pays d’Asie centrale.
L’objectif est d’exporter également les produits chinois vers ces régions. La Chine connaît aujourd’hui une surproduction industrielle notamment sur certains produits comme l’acier ou le ciment. Ces nouveaux canaux de distribution pourront permettre de vendre aux pays de l’ASEAN (zone de libre échange regroupant des pays d’Asie du Sud-Est) pour lesquels il existe des besoins.
Première puissance exportatrice mondiale, important entre 75 et 85% de ses approvisionnements énergétiques, présentant une balance agroalimentaire déficitaire de près de 34 milliards d’euros, la Chine est aujourd’hui en situation de grande dépendance extérieure. Il est donc vital de sécuriser ses importations, et surtout de diversifier les voies d’approvisionnement. Ces routes doivent ainsi contribuer à faire que la Chine n’ait à subir aucun risque de troubles sociaux liés à des problèmes alimentaires ou énergétiques.
L’économie avant l’écologie
Le projet inquiète fortement les experts de l’environnement, et ce à plusieurs titres. Dans une tribune publiée par Nature Sustainability, plusieurs chercheurs internationaux (d’Australie, Chine, Canada, Allemagne, Etats-Unis, Portugal) y voient une menace pour la biodiversité: les routes accroissent la mortalité de la faune sauvage, la fragmentation de l’habitat et de la pollution (chimique, sonore, lumineuse). En mai 2017, le WWF dressait un tableau inquiétant des impacts de ce projet: selon l’association, ces corridors commerciaux empiéterait sur le territoire de 265 espèces menacées, dont 81 en danger et 39 en danger critique d’extinction, parmi lesquels les antilopes saïgas (seule antilope eurasiatique), le tigre et le panda. En tout, 32% de l’ensemble des aires protégées des pays traversés par ces routes pourraient être touché.
Outre le risque pour la faune et les paysages, les chercheurs évoquent les quantités gigantesques de matériaux et d’énergie engouffrés par le projet. En particulier d’énergies fossiles, de sable et de calcaire, nécessaires à la production de ciment et de béton d’importantes sources d’émissions de gaz à effet de serre.
Comme la Grande-Bretagne autrefois, une logique de comptoirs se met en place par la création de ports ou plateformes diverses à vocation civile, voire militaire, et assure ainsi à la Chine des relais logistiques. Même si le président Xi Jinping soutient l’aspect “gagnant-gagnant “ pour les pays de ces projets, les relents coloniaux anglais de l’époque se font tout de même ressentir.
Un colonialisme chinois ?
Outre les routes terrestres, “ les Nouvelles Routes de la Soie “ sont aussi en mer. Selon le géographe Michel Foucher, la Chine est en réalité en train de redécouvrir qu’elle peut être une puissance maritime. Elle mène selon lui une politique dite du “collier de perles”, à savoir une prise d’intérêts et de contrôle dans une série ports, qui nous rappelle singulièrement la politique menée par les britanniques au XIXe siècle et visant à installer des comptoirs maritimes tout au long de la route des Indes. Une stratégie bien comprise par la Chine qui se déploie aujourd’hui au Sri Lanka, à Suez ou encore dans le port du Pirée, au coeur de l’Europe.
Mais si un continent est probant pour étayer l’argument d’un potentiel néo-colonialisme chinois, c’est bien l’Afrique ! Il faut dire que la Chine n’y est pas allée par quatre chemins. Avec le programme “Nouvelles Routes de la Soie“ qu’elle a démarré en 2013, elle a enchaîné les chantiers d’édification de routes, de ports et de chemins de fer en mettant sur la table des dizaines de milliards de dollars.
A partir de 2009, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique. Des pays comme l’Angola exporte plus de 40% de leur production vers la Chine, ce qui menace ces pays d’une dépendance commerciale. Ce qui n’est pas sans rappeler l’époque où la présence était occidentale. Cependant c’est bien la dette des pays africains envers la Chine qui est inquiétante, entre 2015 et 2017 c’est 137 milliards de dollars qui ont été prêtés. Les pays africains désireux de s’affirmer sur la scène internationale mais manquant cruellement d’infrastructures. C’est 3,7 milliards de dollars prêtés au Kenya pour la construction d’un train reliant Mombasa à Nairobi ou encore 575 millions de dollars prêtés à l’Ethiopie pour la construction d’un métro aérien.
Le saviez-vous ?
La dette du Zimbabwe est passée de 48% du PIB en 2013 à 82% en 2017
La dette du Mozambique est passée de 51% du PIB en 2013 à 102% en 2017
Mais encore une fois, les pays africains et la Chine se targuent d’une relation “gagnant-gagnant“ car Pékin voit dans l’Afrique des débouchés pour ses capacités de financement, et pour l’Afrique c’est le moyen de combler son manque d’infrastructures et donc de booster sa croissance. Les “Nouvelles Routes de la Soie“ sont les bras industriels de la Chine qui peuvent lui permettre de s’octroyer le leadership d’un nouvel ordre mondial.
Dans un discours en 2017 pour l’inauguration de la nouvelle ligne de train financée par la Chine, le président kényan Uhuru Kenyatta rappelle que le continent africain s’est vu asservi et exploité par l’Occident et rappelle le passé non colonialiste de la Chine: “ Alors que l’ancien chemin de fer a été construit par la force et la violence, le nouveau chemin de fer est construit dans le consentement et le partenariat à la fois par nous-mêmes et par la Chine”. Sauf qu’aujourd’hui le Kenya devra très prochainement céder son port principal à l’Empire du Milieu faute de liquidité pour rembourser le prêt.
L’histoire se déroulera-t-elle mieux cette fois- ci ?
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