La charte de l’industrie de la mode pour le climat, une avancée concrète ?
Au terme de la COP 24, les 197 Etats participants ont validé l’Accord de Paris de 2015. L’enjeu était de taille puisqu’il s’agissait d’énoncer les conditions d’application de cet accord d’ici 2020. Celles-ci sont désormais inscrites dans un Rulebook, un “mode d’emploi” qui va notamment définir les modalités de suivi et la transparence des actions qui doivent être menées par les Etats pour limiter la hausse de la température prévue à 2, voire 1,5°, d’ici 2100.
Mais au-delà des promesses, des discordes et des règles écrites dans un mode d’emploi, d’autres acteurs que les Etats se trouvent concernés par la COP24 et s’engagent aux côtés des citoyens pour le climat. On peut véritablement parler de progression, aujourd’hui, dans une industrie qui fait partie des plus pollueuses : celle de la mode.
En effet, la COP24 a vu naître la Charte de l’Industrie de la mode pour le climat, sous le parrainage de l’ONU et plus particulièrement de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Une première dans le monde de l’industrie textile !
Ainsi, comme l’indique un communiqué de presse des Nations Unies, 43 grands groupes de l’industrie de la mode ont signé une Charte qui contient 16 objectifs. Le but : les engager à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 30% d’ici à 2030, un objectif assez vague marquant cependant un premier pas dans la définition des objectifs de la COP 24 qui concernent la mode : réduire à néant les émissions nettes d’ici 2050 et atteindre la neutralité carbone.
La fast fashion en questions
La mode est le troisième secteur le plus polluant du monde, derrière l’énergie et l’alimentation, avec un impact chiffré à 10% des émissions totales de CO2. La signature d’une telle charte est donc plus que bienvenue même si elle peut paraître insuffisante face aux conséquences désastreuses de la mode sur l’environnement. Ce n’est pas pour rien que l’on parle de “l’usine du monde” asiatique : la chaîne de production de textile est extrêmement énergivore. Les cours d’eau, particulièrement ceux de la Chine, sont pollués par les produits chimiques utilisés par ce type d’usines.
La fast fashion, cette industrie qui renouvelle ses collections jusqu’à deux fois par semaine et qui a pour pionniers Zara et H&M, est le symbole du gaspillage à grande échelle : avec des milliers de magasins dans le monde, le volume de vêtements que l’on ne veut plus porter finit dans une décharge ou un incinérateur.
Le saviez-vous ?
D’après l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA), 84% des vêtements jetés aux Etats-Unis en 2016 ont fini dans en décharge ou incinérateur au lieu d’être recyclés ou réutilisés, par exemple pour devenir des fibres isolantes. En Europe, ce sont 5,8 millions de tonnes de textile qui finissent en décharge tous les ans.
Dans un système qui veut nous faire acheter toujours plus, les marques ont tendance à miser sur des stratégies marketing mettant en avant leur engagement pour l’environnement. Cependant, ce green washing ne suffit plus au consommateur qui demande aujourd’hui plus qu’une communication. C’est une des raisons pour laquelle cette Charte, même si elle est loin de résoudre tous les problèmes liés à la mode, marque un premier grand pas vers des actions concrètes pour un réel changement.
Que contient la Charte ?
Quoi de neuf ?
La Charte est d’abord celle d’un constat symbolique, et de la reconnaissance de la responsabilité de l’industrie textile dans la catastrophe écologique qui s’annonce. Un constat de faiblesse, qui ne fait pas pâtir les ventes du secteur mais pousse un nombre croissant de consommateurs à boycotter ces marques.
En effet, parmi les signataires, on trouve des poids lourds du prêt-à-porter, comme Kering (propriétaire de Gucci ou Yves Saint Laurent), Adidas, Inditex, maison mère de Zara, Pull&Bear et Bershka, Stella McCartney, Puma et H&M Group… associés à des organismes du secteur, des fabricants et des entreprises de transport.
La charte inclut aussi un engagement sur l’énergie : cesser, dès 2025, d’installer des sources d’énergie à charbon. “Décarboner” la phase de production, c’est-à-dire éliminer les chaudières à charbon, et les remplacer par des sources d’énergies vertes renouvelables. Un enjeu encore plus important lorsque l’on connaît la taille des usines en Asie par exemple.
Autre point important : celui du transport bas carbone. Une très grosse part des émissions de CO2 est encore émise par des véhicules routiers. Il faut donc que les géants de la mode s’emparent de cette problématique et choisissent des modes de transport non polluants, utilisant des biocarburants ou des énergies non carbonées.
Et bien sûr, le choix des matériaux est l’un des aspects les plus cruciaux de cette Charte, et l’un des enjeux majeurs de la mode aujourd’hui, raison pour laquelle de nombreux consommateurs choisissent désormais de se tourner vers des marques privilégiant les matières et la fabrication locales.
Plus que des efforts individuels, c’est à un véritable changement systémique qu’il est possible de rêver. A ce titre, de nombreux dirigeants des entreprises concernées (Puma, ou encore Burberry) ont insisté sur l’importance de la collaboration entre les acteurs du secteur pour changer les modes de production et de transport et favoriser l’économie circulaire et la réutilisation des matériaux.
Tous ces principes seront retravaillés et rediscutés au cours de l’année 2019, ce qui laisse espérer un changement assez rapide des habitudes des grands groupes. On peut aussi parier sur des sanctions pour les signataires qui ne respecteraient pas les engagements pris dans la Charte. Enfin, n’importe quelle entreprise ou organisation issue du secteur textile pourra la signer et participer aux groupes de travail qui vont suivre.
Désormais, aux autres grands pollueurs de la planète de prouver que la COP24 n’a pas été vaine !
La COP24
Mis à part cette avancée significative pour la mode et ses acteurs, il est toujours difficile pour les Etats de s’accorder sur les règles du jeu climatique. La COP24 n’a pas fait exception à la règle. On peut citer d’abord le fait que les États-Unis, la Russie, l’Arabie Saoudite et le Koweït aient refusé de faire état d’un “accueil favorable” de l’alarmant rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) au mois d’octobre dans le Rulebook, qui sert de mode d’emploi à l’Accord de Paris. Un “accueil favorable” du rapport du GIEC aurait signifié que les Etats sont conscients de l’urgence climatique. Au lieu de cela, seul un “prennent note” a été inscrit dans le Rulebook ; or, sans consensus de toutes les parties, le rapport du GIEC ne pouvait apparaître dans le texte. Un premier échec juridique.
Sources
https://www.novethic.fr/actualite/environnement/climat/isr-rse/cop24-peut-on-encore-sauver-le-soldat-climat-146685.html
https://fashionunited.fr/actualite/mode/des-grands-noms-de-l-industrie-de-la-mode-s-engagent-pour-le-climat/2018121119369
https://www.huffingtonpost.fr/2015/11/29/impact-textile-environnem_n_8663002.html
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