Le gouvernement a préparé un arrêté qui devrait chambouler le secteur de l’hydrogène bas carbone. L’hydrogène “bleu”, produit grâce à la captation du CO2, serait désormais compté parmi les types d’hydrogène renouvelable. Une nouvelle qui inquiète les spécialistes.
L’amalgame provoque la polémique. L’hydrogène peut-être bleu, rose, ou vert, mais quelle réalité se cache vraiment derrière ces adjectifs ? Le gouvernement a présenté mardi dernier un arrêté au Conseil supérieur de l’énergie. Une nouvelle méthodologie a été pensée pour classifier ce type d’énergie : un seuil d’émission de gaz à effet de serre a été fixé pour permettre de qualifier l’hydrogène de bas carbone ou renouvelable, et de mieux distribuer les subventions. Les experts s’inquiètent : l’assimilation de l’hydrogène bleu et de l’hydrogène vert pourrait marquer la fin du renouvelable.
H2 L’influence du Parlement européen
L’arrêté préparé par le gouvernement adopte la définition proposée par le Parlement européen en 2023. Sujet à de potentielles évolutions, le texte est né d’un compromis entre les États membres : la France et l’Allemagne n’étaient pas alignées quant à l’intégration de l’hydrogène issu du nucléaire.
Finalement, cette dernière a été incluse dans la proposition du Parlement, et classée dans la catégorie des ressources bas carbone, en raison de son niveau d’émissions, inférieur à la limite définie par la directive Red III au sujet des énergies renouvelables. Pour rappel, ce seuil est fixé à 3,38 kilogrammes de CO2 émis pour un kilogramme d’hydrogène produit.
La France a adopté cette méthode de classification sans grande surprise : la production nucléaire, pilier de l’électricité française, est profitable aux producteurs d’hydrogène.
Mais les experts voient rouge : l’assimilation de cet hydrogène bleu, produit grâce à des énergies fossiles, à une production bas carbone fait encore débat.
Pas de sortie possible des énergies fossiles ?
Le texte est clair : “Pour toutes les technologies de production, lorsque des gaz à effet de serre sont valorisés comme des produits de l’installation, ceux-ci peuvent être décomptés des émissions totales du procédé. Les émissions de gaz à effet de serre faisant l’objet d’un stockage permanent comme spécifié au point 17 de l’annexe du règlement 2023/1185 peuvent également être décomptées des émissions du procédé de production.
”
En d’autres termes, la production d’hydrogène bleu est assimilée à une exploitation bas carbone, qui ouvre la voie à des subventions. Le lobbying des plus grandes firmes, comme Air Liquide ou TotalÉnergies est dénoncé dans ce contexte : ces groupes se concentrent sur la production à partir de gaz d’hydrogène gris, mais affichent néanmoins un engagement envers le captage du carbone. Certains projets d’hydrogène vert sont même dans les rouages du côté d’Air Liquid.
Les experts dénoncent les conséquences que pourraient avoir ce texte sur le long terme : “Cet arrêté est un mandat pour continuer à importer un GNL très émissif et utiliser ce gaz pour produire de l’hydrogène.
” explique un expert aux Échos, qui souligne la dissonance gouvernementale. Promouvoir la sortie des énergies fossiles tout en favorisant le déploiement de dispositifs permettant d’utiliser ce type de ressource laisse donc les scientifiques songeurs. Le gouvernement, déjà mis à mal par sa volonté de programmer par décret l’avenir énergétique de la France, est sous le feu des critiques.
Une concurrence déloyale
L’amalgame des labels fait craindre le pire aux producteurs d’hydrogène vert : une concurrence déloyale. Un acteur du secteur explique ainsi : “Il est nettement moins cher aujourd’hui de produire de l’énergie fossile, sinon tout le monde ferait de l’hydrogène vert. Si nous nous trouvons au même niveau de subventions, les projets d’hydrogène vert seront impossibles à réaliser en France, il faudra partir en Allemagne, au Pays-Bas, ou en Espagne, où la législation est plus favorable.
”
Or, la définition adoptée par ces pays devrait être plus encadrée. Dans un contexte d’accélération de la transition énergétique à l’échelle européenne, le gouvernement et certains acteurs de l’industrie soutiennent la nécessité de relancer un marché balbutiant pour justifier cette mesure. Matthieu Guesné, fondateur de Lhyfe, entreprise spécialisée en hydrogène vert rétorque pourtant, cité par les Échos : “Il y a pourtant déjà un engouement de la filière. Sur un appel d’offre test de la Commission européenne, avec un niveau de subventions plutôt bas, il y a eu 130 candidats. C’est la preuve que les projets fonctionnent, avec des dispositifs peu chers.
”
Philippe Boucly, président de France Hydrogène cité par les Échos, apporte des précisions sur la question : “L’hydrogène bleu risque d’être moins cher et d’arriver plus rapidement. Il faut d’abord s’assurer d’une égalité de traitement des différentes sources. Cela n’indique en rien que le niveau de subvention sera ensuite le même.
” Une nuance importante pour mieux comprendre le débat, qui risque de prendre de l’ampleur dans les semaines à venir alors que les projets en lien avec l’hydrogène se multiplient.
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