Transformer la lumière du soleil en la captant directement depuis l’espace. C’est le projet sur lequel travaille l’Agence spatiale européenne, qui a réuni cette semaine énergéticiens et acteurs du spatial.

Pari fou pour l’Agence spatiale européenne. Cette semaine, l’organisme a réuni à Londres les spécialistes des énergies et du spatial pour travailler sur un projet qui permettrait de transformer les rayons du Soleil, captés depuis l’espace, en électricité. Non altérée par l’atmosphère, la lumière du soleil brille en continu, et permettrait d’obtenir une source inépuisable d’énergie renouvelable, qui enterrerait définitivement les énergies fossiles. Transportée jusqu’à la terre par une technologie sans fil, la quantité d’électricité produite serait toutefois minime pour le moment. Décryptage d’un projet qui remonte aux années 40.

Un concept ancien

L’auteur de science-fiction Isaac Asimov en avait déjà rêvé dans les années 40. Formalisée dans les années 68 par un ingénieur de la Nasa, Peter Glaser, l’idée d’utiliser la puissance solaire depuis l’espace pour produire de l’électricité n’est pas nouvelle. Boeing, Mitsubishi et la Nasa ont tous travaillé d’arrache-pied pour concrétiser ce projet, qui regorge de promesses pour la planète et le déploiement croissant des énergies renouvelables.

Parce qu’il permettrait de lutter plus activement contre le dérèglement climatique, le concept a le vent en poupe ces dernières années. Assurant l’accès à une énergie propre sur tout le globe terrestre, les dispositifs spatiaux réduiraient de façon considérable les émissions de gaz.

Or, ce projet fou bénéficie aujourd’hui de toutes les conditions nécessaires pour voir le jour. Cité par le Figaro, Sanjay Vijendran, docteur en physique et responsable du programme Solaris, porté par l’Agence spatiale européenne pour étudier la viabilité de ces centrales solaires, explique ainsi : “La technologie de conversion du rayonnement solaire en électricité, puis en signaux de radiofréquence envoyés sur Terre fonctionne. Elle est utilisée par les satellites de télécoms, dotés de panneaux solaires, tous les jours.

Les prérequis financiers sont eux aussi réunis : l’espace devient de plus en plus accessible, avec une baisse de 50% des coûts en 10 ans, grâce à l’inauguration des fusées réemployables, comme la Falcon 9 de SpaceX.

La conquête spatiale

Séduite par le projet, la Royal Aeronautical Society a organisé la semaine passée à Londres une conférence internationale portant sur le déploiement de l’énergie solaire spatiale. Étalée sur trois jours et co-présidée par le ministère de l’Énergie et les agences spatiales européenne (ESA) et britannique (UKsa), elle avait pour but de passer en revue toutes les options technologiques disponibles pour mener à bien ce projet.

Les spécialistes de l’énergie étaient eux aussi conviés. “Il faut réunir les gens du spatial et de l’énergie car in fine, ce sera un projet énergétique, basé sur des technologies spatiales” souligne Sanjay Vijendran.

Un certain nombre de maquettes et de démonstrations a en effet prouvé la faisabilité du projet, donnant plus de crédit à cette idée insolite. En juin 2023, l’institut technologique de Californie (Caltech), et le Space Solar Power Demonstrator (SSPD) ont initié le dernier projet en date. Un satellite de 50 kg, permettant de mener à bien ces études, a été lancé en janvier 2023 : comportant des dispositifs essentiels pour la captation d’énergie, il est parvenu à transformer la puissance solaire en électricité, et à la transporter jusqu’à la terre sous la forme d’un faisceau micro-ondes, réceptionné par une antenne terrestre.

Néanmoins, la quantité d’énergie recueillie par l’engin est relativement faible : 200 milliwatts. Pas de quoi éclairer la terre entière, mais les données sont prometteuses. Sanjay Vijendran signale ainsi “Tout l’enjeu est désormais de changer d’échelle avec un démonstrateur de grande taille.

Le responsable du programme Solaris a présenté le bilan des études de viabilité à deux délégations.

La première étude, menée par la branche italienne de Thales Alenia Space, a porté sur la création d’un parc de 55 satellites-centrales solaires, en orbite géostationnaire (GEO, située à 36000 km de la Terre.) Le dispositif présenterait des panneaux solaires et des équipements de transformation de l’énergie en signaux de radiofréquences, qui seraient transférés à des stations d’accueil européennes, près des zones d’habitation denses. Sanjay Vijendran estime que les centrales solaires “généreraient de grandes quantités d’énergie 24 heures sur 24, équivalente à celle des centrales nucléaires terrestres.

L’Agence spatiale européenne a quant à elle évalué que chaque centrale spatiale d’une puissance d’1 Gw engagerait “quelque 12 milliards d’euros, ce qui est similaire au prix d’un réacteur nucléaire terrestre de même capacité.” Le projet semble donc faisable.

Rayonner à l’international

L’étude menée par le cabinet de conseil Arthur D. Little en partenariat avec Engie, Air Liquide, TAS France poursuit une autre piste, qui prendrait des dimensions internationales : il s’agirait de refléter puis de renvoyer les rayons du soleil vers des panneaux solaires, pour permettre une hausse de 60% des capacités photovoltaïques.

Ce concept a déjà été exploré par Roskomos dans les années 90. L’agence russe avait développé un miroir géant depuis sa station MIR pour apporter de la lumière en Sibérie en 1993.

Les ambitions d’Arthur D. Little vont par delà la toundra : 4000 miroirs géants, d’un diamètre d’1km seraient déployés en orbite basse, à environ 890 km de la Terre.

Le spécialiste de l’Agence spatiale européenne explique ainsi “Construire ces miroirs est assez simple. C’est un peu comme un trampoline. Il y a une structure légère dans laquelle le miroir, composé d’une très fine membrane réfléchissante, en aluminium spécial, est replié. Pour l’assembler et le déplier, nous utiliserions des robots en orbite.

Or cette option pourrait bénéficier à tous les pays du globe, et notamment à ceux qui sont particulièrement exposés aux rayons solaires : “Cette solution est très intéressante pour les pays bénéficiant d’un ensoleillement quasi permanent en Afrique, au Moyen-Orient et en Inde qui investissent dans de grandes fermes photovoltaïques.

Du côté financier, le bilan du cabinet de conseil chiffre chacun de ces méga-miroirs à 4 millions, hors lancement, manufacture et maintenance. Cette option serait pérenne d’un point de vue économique avec moins de 1000 miroirs. Elle proposerait également de l’électricité à des prix compétitifs.

Depuis 2022, l’Agence spatiale européenne a 60 millions d’euros à sa disposition pour financer des premiers travaux. Cette enveloppe arrivant à échéance à l’horizon 2025, l’Esa compte sur l’obtention d’un budget plus important lors de la réunion de 2025 des 22 ministres de l’Espace.

Or, le projet ne fait pas l’unanimité, comme le suggère Sanjay Vijendran : “Pour le moment, seul le Royaume-Uni soutient le projet et l’a financé. L’Allemagne, la France et l’Italie, les trois plus importants contributeurs aux programmes de l’Esa, n’y participent pas encore. Nous avons un travail de conviction à mener.” La conquête spatiale semble pour l’instant balbutiante alors que la France s’engage de plus en plus dans le déploiement des énergies renouvelables. 

Horizon 2040

L’Agence spatiale européenne juge aujourd’hui que les deux projets constituent des pistes viables et réalistes. Elle souligne néanmoins que la première option, fondée sur les radiofréquences, demanderait plus de temps pour être déployée à grande échelle. Les miroirs présentent une technologie plus simple, et plus facilement développable.

Combiner les deux dispositifs reste envisageable pour l’Esa, qui espère néanmoins l’approbation en 2026 du lancement d’un projet pilote à petite échelle des méga-miroirs en 2030. L’idée serait ensuite de développer un prototype plus important d’ici quelques années, si le projet pilote réussi, pour initier le lancement et l’installation d’un parc de miroirs sur dix ans. À l’horizon 2040, donc, date butoir pour de nombreux projets de transition énergétique.

Or, les montants engagés dans un tel programme sont difficilement supportables par l’Agence spatiale. Elle souhaite obtenir le soutien de l’Union européenne, des industriels et des investisseurs privés. Le directeur de Solaris explique ainsi “Il s’agit de se doter d’une nouvelle infrastructure, qui pourrait être similaire à Galileo, le GPS européen, à Copernicus, dans l’observation de la Terre, et à Iris2 dans l’internet spatial, que l’UE a financés.

Dans un contexte d’accélération des autres pays, comme les États-Unis, le Japon et la Chine, l’Agence enjoint l’Europe d’agir. L’US Air Force a déjà prévu d’envoyer en orbite un prototype plus imposant que celui de Caltech, tandis que la Chine et le Japon ont prévu des tests en 2028 et 2025. L’Arabie Saoudite, le Royaume-Uni et les Émirats arabes unis sont aussi sur le coup. Sanjay Vijendran révèle des chiffres exorbitants “Quelque 500 millions ont été investis par les agences spatiales dans le monde des projets d’énergie solaire spatiale.

Or, la durabilité de dispositifs en orbite est incertaine : l’affluence spatiale est déjà importante, avec des milliers de satellites internet comme Starlink, et le risque de collision des monuments est considérable. Un autre frein au développement d’un dispositif durable, dans un contexte où la Commission européenne met pourtant l’accent sur la transition énergétique.

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