Retour sur la genèse de l’écoféminisme
Comme l’explique cet article, le concept d’écoféminisme a été pour la première fois utilisé en 1974 par la figure féministe Françoise d’Eaubonne dans son ouvrage Le féminisme ou la mort. C’est pourtant aux Etats-Unis qu’il prend véritablement son essor dans les années 80, suite à l’accident nucléaire de Three Mile Island. Se forme entre 1979 et 1980 l’organisation Women for Life on Earth, à l’origine de la Women’s Pentagon Action .
Le saviez-vous ?
Le 17 novembre 1980, le Pentagone est encerclé par 2000 femmes, sur ces mots : “Nous nous rassemblons […] parce que nous craignons pour nos vies. Nous craignons pour la vie de cette planète, notre Terre, et la vie de nos enfants qui représentent notre futur.” Elles ne le savent pas encore, mais ces femmes viennent de lancer la toute première action écoféministe.
C’est alors que s’organisent une succession de mobilisations choc, toujours entérinées par des femmes aux revendications pacifistes, écologistes et féministes. Parmi ces actions il y eut en 1981 le blocus de la centrale nucléaire de Diablon Canyon en Californie et la formation du Camp des femmes pour la paix à Greenham Common dont le but était de protester contre l’installation de missiles nucléaires dans la base militaire et qui a subsisté jusqu’en 2000.
Vous n'aviez jamais entendu parler d'écoféminisme ?
C’est peut-être parce que le concept s’est essoufflé dans les années 1990. Il renaît aujourd’hui de ses cendres dans un contexte d’urgence écologique absolue.
Sa définition est mouvante, et il a constitué le sujet d’études de plusieurs chercheuses en sciences sociales et philosophes : Françoise d’Eaubonne bien sûr, mais aussi les américaines Susan Griffin, Karen J. Warren et l’italienne Silvia Federici. Et encore plus récemment, les philosophes françaises Jeanne Burgart-Goutal et Émilie Hache.
Oppression des femmes et destruction de la nature, même combat ?
Mais quel est donc le rapport entre lutte écologiste et lutte féministe ? Karen J. Warren donne la définition suivante du concept d’écoféminisme :
“J’utilise le terme d’écoféminisme pour désigner une position fondée sur les thèses suivantes :
- il existe des liens importants entre l’oppression des femmes et celle de la nature ;
- comprendre le statut de ces liens est indispensable à toute tentative de saisir adéquatement l’oppression des femmes aussi bien que celle de la nature ;
- la théorie et la pratique féministes doivent inclure une perspective écologiste ;
- les solutions apportées aux problèmes écologiques doivent inclure une perspective féministe.”
L’écoféminisme a longtemps été boudé par les milieux féministes français, qui le considéraient comme régressif car renvoyant les femmes à un rôle stéréotypé de nourricières, protectrices douces et empathiques de la planète. De plus, la part de spiritualisme présent dans l’écoféminisme américain des années 80 a repoussé les militantes françaises. Impossible de le nier en effet, l’écoféminisme lie intimement sort des femmes et sort de la planète : la dégradation de l’un et de l’autre résulterait de notre modèle de civilisation.
Nombreuses sont les militantes qui sont de cet avis aujourd’hui. Si l’on veut parler d’icônes actuelles de l’écoféminisme, deux femmes sont à citer : Starhawk aux Etats-Unis, et Vandana Shiva en Inde. Les deux activistes organisent des actions de désobéissance civile, luttant par exemple contre l’expropriation des femmes paysannes par des entreprises privées.
Les femmes, premières victimes du réchauffement climatique
Certains résument donc simplement le mouvement écoféministe comme un courant de pensée établissant que la femme est fille de Gaïa, personnification de la Terre dans la mythologie grecque, et donc liée à elle par essence.
Pourtant, le lien entre sort des femmes et sort de la planète est bien plus prosaïque… C’est qu’en tant que productrices de la moitié des denrées alimentaires mondiales (dans certains pays elles en produisent même les 4/5), elles sont les plus directement touchées par les conséquences du réchauffement climatique et de la démultiplication des catastrophes naturelles. Elles en meurent d’ailleurs davantage : 70% des personnes décédées lors du tsunami de 2004 en Asie étaient des femmes.
Par ailleurs, du fait des discriminations qu’elles subissent, les femmes sont plus précaires que les hommes. Elles représentent, selon l’ONU, 70% de la population pauvre mondiale. Exerçant souvent, de fait, des activités manuelles très peu qualifiées, elles sont au plus près des substances polluantes (tri des déchets électroniques, contact avec des cours d’eau dans lesquels des substances toxiques se sont déversées…).
Rien d’étonnant alors dans le fait que l’on puisse lier féminisme et écologie : en protégeant la planète, on protège de nombreuses femmes, et tout particulièrement dans les pays du Sud.
L’écologie, une charge morale en plus de la charge mentale
Mais les conséquences des dégradations environnementales sur le quotidien des femmes n’existent pas que dans les les milieux défavorisés : selon une étude de 2015 réalisée par le Pew Research Center dans 11 pays dits “développés”, “les femmes sont plus préoccupées et se sentent plus directement concernées par le changement climatique ; elles sont inquiètes que ces bouleversements leur nuisent personnellement.”
Et le premier endroit où le changement climatique leur nuit, c’est leur propre maison… Les mères de famille sont toujours considérées comme responsables de l’intendance du foyer. La société commence à admettre que la charge mentale est une réalité. Et au sein de cette charge mentale, la charge morale de l’écologie se fait de plus en plus sentir.
Le saviez-vous ?
En France, selon un sondage OpinionWay, 95% des Françaises se sentent plus responsables des enfants que leur conjoint, 92% du ménage.
Or, la protection de l’environnement passe aujourd’hui par un activisme dans la consommation quotidienne. On télécharge des applications pour passer au crible la composition des produits, pour éviter les composants toxiques, polluants, destructeurs de l’environnement. On fabrique à la maison des produits du quotidien, autrefois achetés au supermarché du coin sans même réfléchir à l’impact que cela aurait sur la planète.
outre la charge mentale, avec l'impératif écologique, une pression supplémentaire s'exerce désormais au quotidien sur les épaules des femmes : la charge morale. alors je m'interroge : le féminisme est-il soluble dans l'écologie ? https://t.co/fUbD6I8wge
— nora bouazzouni (@norabz) August 22, 2019
Insolite
Selon une étude de la Jon M. Huntsman School of Business en 2017, les comportements écologiques comme porter un sac en toile réutilisable plutôt qu’un sac plastique sont perçus comme “féminins”.
L’empathie est plus féminine que masculine. Et il ne s’agit pas d’une prédisposition génétique, loin de là : le conditionnement et la socialisation des filles, dès le plus jeune âge, les mène à accorder davantage d’importance au fait de prendre soin de leur prochain et de leur environnement que leurs congénères masculins. Elles sont aussi plus naturellement orientées vers les métiers du “care” (“prendre soin”) que les hommes : soins des personnes et particulièrement les plus fragiles, accompagnement social…
Écoféminisme : le lien entre exploitation des femmes et des ressources naturelles
Au delà d’être une association des luttes, l’écoféminisme est la mise en évidence d’un lien réel entre les deux problématiques. En effet, les violences perpétrées envers les femmes et la nature trouvent la même explication : on les considère comme passives, on leur refuse la liberté de décider de leur propre devenir. Le capitalisme patriarcal les exploite sans ménagement, refuse de prendre en compte leur épuisement car il s’agit du prix à payer pour le confort de chacun.
La difficulté de l’accès à la contraception pour les femmes a entraîné la surpopulation à laquelle la planète fait face aujourd’hui, laquelle est l’une des principales sources des dégradations environnementales contemporaines.
Rendre aux femmes leur place dans la société et leur accorder un réel pouvoir de décision, c’est le “reclaim” , concept clé des mouvements écoféministes. Repartir sur des bases saines, sans pour autant effacer les actions passées.
“La lutte pour l’écologie sera féministe ou ne sera pas”
Thème du quatrième acte de la mobilisation des jeunes pour le climat l’année dernière, cette phrase nous montre le regain de popularité actuel de l’écoféminisme. Les revendications sont en résonnance totale avec celles qui étaient avancées par le manifeste de la Women’s Pentagon Action il y a quarante ans de cela :
- mise en place d’un réel programme éducatif féministe ;
- arrêt de la prolifération nucléaire ;
- mise en place de solutions pour préserver l’environnement…
La protection de l’environnement prend un temps très important aux femmes ; plus sensibilisées à l’écologie, davantage considérées comme responsables de la consommation du foyer, encore aujourd’hui. Mais le problème est-il vraiment celui-là… Ou devons-nous simplement repenser nos modèles, pour intégrer de la même manière femme et hommes dans la prise des décisions importantes et inculquer aux hommes dès l’enfance le souci de la préservation de l’environnement comme le fait d’assumer leur part de charge mentale ?
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