Entretien Des prix de l’électricité qui s’envolent ! Des factures impossibles à payer ! La peur du blackout durant l’hiver ! L’année 2022-2023 a été le théâtre d’une crise énergétique sans précédent en Europe.
La guerre en Ukraine, débutée en février 2022, en est la principale raison. Les prix du gaz ont explosé, et le marché européen de l’énergie a montré ses limites et son incapacité à réagir. C’est pourquoi les Vingt-Sept se sont mis d’accord pour le réformer afin d’apporter, notamment, une meilleure protection aux consommateurs et plus de stabilité dans les prix pour les entreprises.
À l’approche des élections européennes, Jacques Percebois, professeur émérite à l’Université de Montpellier, directeur du Centre de recherche en économie et droit de l’énergie (CREDEN) et auteur de l’ouvrage « Les prix de l’électricité. Marchés et régulation », analyse, pour Fournisseur-energie.com, la réforme du marché européen de l’énergie.
Pourquoi réformer le marché de l’énergie ?
Il faut le réformer parce qu’on a connu, en 2022-2023, une situation exceptionnelle avec une envolée des prix de gros qui s’est répercutée évidemment sur les prix de détail.
Beaucoup de gens n’ont pas compris pourquoi les prix de gros de l’électricité se sont envolés et pourquoi ils sont liés au prix dugaz. C’est tout à fait logique sur un marché que le prix d’équilibre soit calé sur le coût de fonctionnement de la dernière centrale nécessaire à l’équilibre du réseau. Or, la centrale marginale, celle qui fait l’équilibre, c’est souvent une centrale à gaz.
Comme le prix du gaz s’est envolé à cause de la guerre en Ukraine, le prix de l’électricité a suivi. Il est monté à 345 euros le mégawatt-heure de gaz, ce qui est énorme. Ensuite, les choses sont rentrées dans l’ordre. Quand le prix du gaz a chuté fin 2022 et début 2023, le prix de l’électricité a chuté lui aussi.
Aujourd’hui, le prix du gaz est relativement faible en Europe. On est à 31 euros le mégawatt-heure de gaz. C’est dix fois moins que le prix qu’on a connu en 2022.
La hausse du prix du gaz a donc généré une augmentation du prix de l’électricité. Et pour éviter cette volatilité excessive, on a pris conscience qu’il fallait, en quelque sorte, mettre des garde-fous.
“L’idée est de mettre en place une sorte de tunnel sur le marché de gros, avec un prix plafond et un prix plancher”.
Quels sont ces garde-fous ?
Ces deux garde-fous, ce sont, d’une part, les contrats pour différence (CFD) et, d’autre part, les PPA (Power Purchase Agreement), c’est-à-dire des contrats à long terme.
Avec les contrats pour différence, qui sont des contrats publics, l’idée est de mettre en place une sorte de tunnel sur le marché de gros, avec un prix plafond et un prix plancher.
Si le prix de gros est trop bas pour financer les investissements et le fonctionnement des centrales, l’État versera la différence. C’est donc le contribuable qui paiera ou les consommateurs puisqu’il y aura une taxe. Et si le prix est excessif, l’État prélèvera la rente et la redistribuera aux consommateurs.
Et puis, vous avez les PPA classiques, qui sont des contrats privés, c’est-à-dire acheter une production en mégawattheure à un prix négocié entre le producteur et le client.
La Commission européenne est d’accord pour des PPA négociés avec les producteurs. Simplement, elle ne voudrait pas que ça dépasse une certaine proportion de la production, parce que les PPA sont des contrats hors marché qui risquent d’assécher le marché de gros.
Toute l’électricité n’est pas vendue sur le marché de gros. Mais si une partie seulement va sur le marché de gros et que cette partie est désormais négociée avec des PPA, le marché de gros va devenir très étroit et donc la volatilité va encore s’accroître. Donc, là, il y a un débat pour savoir quel sera le poids des PPA.
Est-ce que cette réforme amène une meilleure protection des consommateurs ?
À priori, oui, parce que le consommateur aura la garantie qu’en cas de prix excessif, il y aura un prélèvement par l’État au-delà d’un certain plafond, qui lui sera en principe redistribué.
Toutefois, il faudra voir comment il est redistribué, parce qu’il ne sera pas redistribué tout de suite, en principe, il sera redistribué l’année suivante. Est-ce que tout sera redistribué ? C’est une autre question.
Qu’en est-il pour la stabilité des prix pour les entreprises ?
Pour une entreprise, vous avez deux solutions. Soit, vous passez des contrats de gré à gré qui prévoient, par exemple, un prix relativement fixe ou un prix indexé sur un indicateur que vous choisissez d’un commun accord. Soit, surtout si vous êtes un gros consommateur, vous pouvez vous couvrir sur les marchés financiers avec une assurance.
Simplement, le fait qu’il y ait un CFD, si c’est appliqué, permettra à tous les consommateurs de ne pas supporter des hausses excessives parce qu’on leur reversera une partie de la rente qui aura été prélevée par l’État.
“Il ne faut pas s’attendre à ce que les prix de l’électricité baissent.”
Concrètement, quelles conséquences aura cette réforme pour les factures des ménages et des entreprises ?
Il ne faut pas s’attendre à ce que les prix de l’électricité baissent, car il y a trois composantes dans le prix de l’électricité, qui risquent de s’accroître.
D’abord, il y a les taxes. À partir du moment où vous aidez des producteurs de renouvelables ou la filière nucléaire, parce qu’il faudra aussi aider le nouveau nucléaire, il faut s’attendre à ce que les taxes aient tendance à monter.
Ensuite, vous avez le TURPE, le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité, c’est-à-dire les péages d’accès aux réseaux d’Enedis et RTE. Et là, il y a énormément d’investissements.
Si vous regardez les investissements d’Enedis, ce sont 94 milliards d’euros. Pour RTE, ce sont 100 milliards d’euros à l’horizon 2040. Vous avez donc 200 milliards d’euros à sortir d’ici 2040. Donc, ça veut dire qu’il faut s’attendre à ce que le TURPE augmente. D’ailleurs, il est prévu qu’en juillet, il y ait une augmentation qui tienne au coût des réseaux.
Enfin, il y a une incertitude : c’est le coût de production de l’électricité. Car si vous investissez dans les renouvelables et le nucléaire, c’est bien le consommateur qui va payer, car ce n’est pas aux contribuables de payer, en grande partie du moins.
Mais, surtout, cette réforme a été faite pour protéger les consommateurs face à une nouvelle crise énergétique, comme celle connue en 2022-2023. Il ne faut pas s’attendre à ce que les prix baissent puisqu’il va falloir payer pour la production, les réseaux et les taxes, mais, avec cette réforme, on évitera la situation qu’on a connue en 2022 avec des prix excessifs, notamment pour les entreprises.
Donc, c’est pour lutter contre les situations exceptionnelles que ce système est mis en place afin de garantir que les prix vont suivre les coûts et qu’il n’y aura pas de rentes excessives.
En économie de marché, c’est vrai pour l’électricité, comme beaucoup d’autres marchandises, les prix suivent les coûts. Si le coût augmente, le prix augmente. Et les coûts ne sont pas orientés à la baisse.
“À terme, on sortira du gaz.”
La guerre en Ukraine a montré que le système qui existait n’était pas fait pour des périodes de crise. Est-ce que cette réforme corrige ce problème ?
Cette réforme corrige, en partie, le problème parce qu’on peut penser que la volatilité du prix du gaz sera plus faible, puisqu’on devrait se passer de plus en plus du gaz russe, même si ce n’est pas encore le cas.
Dans la mesure où on a réussi à trouver de nouveaux fournisseurs, comme les États-Unis, on peut dire que la volatilité des prix du gaz pourrait être plus faible.
Mais elle peut encore exister parce qu’il peut y avoir encore des tensions sur le marché du gaz, bien sûr. Mais à terme, on sortira du gaz.
Donc, ce n’est pas tellement la réforme qui a corrigé ce problème, mais plus la capacité de l’Union européenne à trouver de nouveaux partenaires pour lui fournir du gaz ?
Sur le prix du gaz, c’est vrai, mais la réforme corrigera le problème si vous mettez un CFD, parce que vous aurez un prix plafond quelle que soit la centrale de pointe. C’est-à-dire qu’au-delà d’un certain seuil, l’État prélèverait la différence. Donc, il y aura une garantie pour le consommateur, parce que ce serait une façon pour l’État de réduire la facture.
“Les prix d’électricité en Europe sont très bas, voire nuls ou négatifs”.
Le principal problème dans la crise énergétique de 2022-2023 est que le prix de l’électricité est corrélé à celui du du gaz. Cette réforme ne devrait-elle pas corriger ce problème ?
À partir du moment où le prix de l’électricité dépend du coût de fonctionnement de la centrale marginale qui est une centrale à gaz, si vous voulez que cette dernière réponde, il faut évidemment accepter que le prix de l’électricité puisse couvrir le coût de fourniture, c’est-à-dire le coût du gaz.
Alors, la solution alternative est de ne pas faire appel à la centrale à gaz. Mais, à ce moment-là, si vous n’avez pas assez de centrales en pointe, le risque, c’est qu’on manque d’électricité et qu’on soit dans le blackout.
Si la centrale marginale n’est plus la centrale à gaz, cela veut dire que vous sortez les énergies fossiles du marché électrique. On ne fait quasiment plus d’électricité avec le pétrole, mais on fait encore beaucoup d’électricité avec le charbon et le gaz en Europe. Le jour où les centrales utilisant des énergies fossiles auront disparu, le coût marginal du marché de gros sera très faible, car ne subsisteront que des centrales à faibles coûts de fonctionnement (coûts variables) mais à forts coûts fixes.
Quel est le coût de fonctionnement d’une éolienne ou d’une centrale solaire ? C’est zéro, il est nul. Quel est le coût de fonctionnement d’une centrale nucléaire ? Il est modeste, ce qui coûte cher, dans les deux cas, ce sont les coûts fixes.
Par conséquent, tant que les énergies fossiles jouent un rôle important, tant qu’on a encore beaucoup de centrales fossiles, ce qui est encore le cas en Europe, on est obligé d’avoir un prix qui est calé sur le coût des combustibles, c’est-à-dire le coût du charbon ou du gaz. Et, en général, c’est le coût du gaz, parce que c’est la dernière centrale appelée.
Donc, le jour où les combustibles fossiles sortent, on ne pourra plus avoir un marché fondé sur une logique de coût marginal. Parce que le coût marginal sera faible. On sera à zéro tout le temps. D’ailleurs, on le voit à certains moments. Quand vous n’avez pas besoin des centrales à gaz, quand vous n’avez pas besoin ou très peu du nucléaire, les prix d’électricité en Europe sont très bas, voire nuls ou négatifs.
À ce moment-là, il faudra revoir le système. Il faudra probablement faire un prix qui sera calé sur le coût du capital, c’est-à-dire le coût de l’équipement et non plus le coût du combustible. Ce sera une tarification calée sur le coût moyen du parc, donc largement sur les coûts fixes.
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