RTE a chiffré à 100 milliards d’euros le coût de rénovation du réseau électrique de très haute tension. Installation de dispositifs éoliens et photovoltaïques, remplacement des anciens câbles, raccordement des centrales en cours de construction… Les projets pour réhabiliter le système français sont tous particulièrement coûteux, et la question de la pénurie de matériaux inquiète.
2040. C’est la date butoir pour réhabiliter le système électrique français. Ce projet ambitieux engage un montant exorbitant. RTE, le gestionnaire du réseau de très haute tension, a chiffré à 100 milliards d’euros les fonds nécessaires à la rénovation, qui inclut les dispositifs hydroliens, les parcs éoliens et photovoltaïques, et les centrales nucléaires, dans un contexte d’accélération de la décarbonation en Europe. Pour atteindre ces objectifs, RTE vient de lancer une consultation officielle, adressée aux industriels de l’électricité, ainsi qu’à ceux dont l’activité requiert beaucoup d’énergie.
“Un effort sans précédent”
Le système électrique de très haute tension a vieilli et n’est plus capable de supporter la production française, qui met désormais l’accent sur les énergies décarbonées. RTE a donc lancé une consultation dans le but d’obtenir plus de données sur les besoins des industriels producteurs d’électricité ou des acteurs qui ont l’intention de développer une activité en lien avec les énergies renouvelables. Des informations essentielles pour adapter le futur réseau, et rattraper un retard préjudiciable pour les consommateurs et les investisseurs.
Cité par Ouest France, le gestionnaire de réseau souligne que la rénovation du système constitue un effort “sans précédent depuis la création de RTE”, “
comparable
” aux moyens engagés dans les années 70-80 “lors de la construction du parc nucléaire français.
”
L’essentiel de l’effort sera placé dans la rénovation des lignes obsolètes. RTE explique ainsi que “l’âge moyen des liaisons aériennes est de 55 ans, et 20% d’entre elles ont plus de 70 ans.
” Un chiffre qui semble expliquer la difficulté du réseau français à s’adapter à la nouvelle dynamique du marché électrique.
Le changement climatique, qui provoquerait une hausse de 4°C d’ici la fin du siècle, est un autre facteur à prendre en compte dans la rénovation. Les câbles ne sont en effet pas capables de fonctionner à pleine capacité lorsque les températures sont élevées. Les aléas climatiques de plus en plus fréquents, comme les tempêtes et les inondations, peuvent aussi altérer durablement les lignes : une contrainte que RTE doit prendre en compte dans l’élaboration de son projet.
L’essor des data centers
L’activité industrielle française requiert une électrification de plus en plus importante, et RTE doit adapter le réseau à l’accélération de ce phénomène. On estime que la consommation d’électricité devrait passer de 430 TWh à 530 TWh en 2050, avec la multiplication à venir de nouvelles usines, et l’électrification des processus industriels. Ces chiffres correspondent à la production de 15 réacteurs nucléaires, Or, une partie des 56 réacteurs aujourd’hui en service est amenée à être suspendue d’ici 2050. Une situation qui met le gestionnaire de réseau sous pression.
RTE met en lumière l’incidence des data centers sur la consommation d’électricité. Les centres de données sont essentiellement situés en région parisienne, mais aussi près de Marseille, où l’on trouve la majorité des câbles de communication sous-marins nécessaires pour connecter les dispositifs des data centers. Ces situations géographiques rendent le travail de raccordement particulièrement délicat. L’estimation de RTE est ainsi titanesque : ils devraient avoir besoin de 29 TWh par an, soit la production de 4,5 réacteurs nucléaires. Des chiffres qui donnent le tournis au gestionnaire de réseaux.
Le prix de la décarbonation
La transition énergétique explique ce besoin urgent de réadapter le réseau. Définie comme un objectif de premier plan par la Commission européenne, la décarbonation suppose un déploiement de l’électrification. Or, ces projets engagent également des montants colossaux : 300 milliards pour déployer de nouveaux dispositifs de production (nucléaires et renouvelables), 96 milliards pour le réseau électrique de proximité, et 100 milliards pour les réseaux de très haute tension, gérés par RTE.
Le gestionnaire de réseau semble néanmoins plutôt confiant, et juge l’effort “atteignable”, rappelant les montants engagés lors des années passées : “la facture énergétique de la France pour la seule année 2022 a atteint 116 milliards.
” Or, il s’agissait d’une année marquée par la crise de la guerre en Ukraine, et par l’envol des prix des hydrocarbures.
Les investissements annuels de RTE sont déjà en hausse : ils sont ainsi passés de 1,2 milliard en 2019 à 2,3 milliards en 2024, avec en ligne de mire les 3,7 milliards à partir de 2027. Des chiffres qui devraient inquiéter les consommateurs : ces sommes se répercuteront nécessairement sur leur facture, mais la consultation du gestionnaire n’évoque pas ce sujet.
Les fournisseurs sous tension
RTE semble préoccupé par la question des matériaux, et par la capacité des fabricants à fournir les disjoncteurs et les câbles nécessaires au projet électrique.
Les besoins en équipements sont en effet massifs. Les câbles aériens passeraient de 1500 à quasi 600 km par an d’ici 2028, les câbles souterrains de 700 à 2200 km, les disjoncteurs de 200 à 450 et les sectionneurs de 550 à 1000 par an d’ici 2030.
Mais le gestionnaire s’inquiète de ces chiffres : “la croissance exponentielle de la demande européenne et mondiale associée à un faible nombre de fournisseurs sur chaque maillon de la chaîne de valeur met en tension l’approvisionnement pour ces matériels.
”
Et les fournisseurs ne sont pas non plus sûrs de pouvoir assurer cet approvisionnement. Ainsi, ils “mettent en exergue les incertitudes sur la capacité de l’écosystème industriel à pouvoir suivre ces dynamiques dès les prochaines années.
”
Ils estiment ainsi pouvoir fournir “80% des besoins pour les liaisons aériennes et les postes et 60-70% pour les liaisons souterraines.
” On est encore loin des objectifs du gestionnaire.
RTE a réformé sa politique d’achat, pour s’assurer que le manque d’équipement ne constitue pas un frein au développement du réseau : contrats-cadres passant de 5 à 10 ans, réduction des types des câbles… autant de mesures prises dans l’urgence par le gestionnaire.
Or, les délais de livraison “ont été multipliés par trois entre 2021 et 2023 pour les câbles souterrains et les matériels postes.
” Il reste donc à voir si les mesures prises par le gestionnaire seront suffisantes pour raccorder l’ensemble du territoire, alors que les producteurs d’électricité dénoncent toujours l’abandon par RTE des zones périphériques et que l’Europe met les acteurs de l’électricité sous pression.
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