Une rente pétrolière empoisonnée
Le Venezuela connaît aujourd’hui une crise économique et humanitaire sans précédent : inflation galopante, pénurie alimentaire, comment ce pays pétrolier autrefois le plus riche d’Amérique Latine a pu en arriver là ?
Le saviez-vous ?
Fin 2009, des estimations américaines faisaient état de 514 milliards de barils de pétrole techniquement exploitables, soit plus du tiers des réserves de pétrole de la planète. Le pétrole vénézuélien est cependant plus cher à produire qu’un pétrole de la péninsule arabique par exemple.
Le pays possède les plus importantes réserves de pétrole du monde. La dépendance économique du pays à cette ressource est considérable et s’est même accrue ces dernières années. Cette manne a permis à l’ancien président Hugo Chavez, décédé en 2013, de financer de colossaux programmes sociaux et l’éducation à coups de millions de pétrodollars, qui ont eu le mérite de faire baisser le taux de pauvreté et d’accroître l’alphabétisation de la population entre 2003 et 2010, mais au détriment de l’entretien des infrastructures pétrolières. Par conséquent, elles sont aujourd’hui en très mauvais état.
Mais en 2008, les recettes d’exportation se sont effondrées, sur fond de crise financière et économique mondiale et de division par 4 des cours du pétrole en seulement quelques mois. Comme l’Etat n’a pas maîtrisé ses dépenses, les laissant à un niveau élevé, les déficits publics se sont envolés.
La crise que traverse le Venezuela trouve aussi ses racines dans un système où la corruption est quasiment institutionnalisée. En arrivant au pouvoir en 2013, Nicolas Maduro, le successeur de Chavez, a laissé le contrôle de l’économie et de la compagnie pétrolière nationale PDVSA aux généraux. La corruption a notamment été mise à jour via le scandale d’évasion fiscale des Panama Papers.
Afin d’éponger ces déficits publics abyssaux, Caracas a fait tourner la planche à billets à plein régime. Ainsi, la quantité de monnaie a explosé, sans que la production ne suive. Mécaniquement, la valeur du bolivar s’est effondrée face au dollar. S’est ensuivi un cercle vicieux : les Vénézuéliens s’empressent de convertir en dollars au marché noir leurs salaires perçus en bolivars pesant ainsi un peu plus sur le cours de la monnaie vénézuélienne.
Une crise énergétique plus grave que prévue ?
Les infrastructures électriques, par exemple, ne sont pas entretenues. Caracas, la capitale, connaît très régulièrement des pannes de courant. Certains quartiers sont alimentés de façon échelonnée. Mais depuis le 7 mars le Venezuela doit faire face à la plus importante coupure de courant de son histoire. Des villages et des quartiers restent encore sans eau courante et sans électricité.
Alors que le gouvernement dénonce un « sabotage », des experts pointent du doigt le sous-investissement dans le réseau depuis 2005, le manque de personnel qualifié resté sur place et la corruption. Les conséquences de la panne, immenses, se font toujours ressentir.
10 jours après, les communications revenaient à Caracas, le gouvernement a affirmé que le courant était rétabli dans la plupart des régions du pays, à l’exception du grand ouest et de certains Etats du centre. Mais les communications restaient difficiles entre Caracas et les autres villes du pays. Et la population est éreintée par la course aux vivres et surtout à l’eau, étant obligée de payer le moindre achat en dollars.
Un avenir “ vert “ réalisable ?
Dans ce chaos et marasme ambiant, le pays doit ressortir fortifié. La production pétrolière du Venezuela chute :
- En 2013 : 2 673 000 barils ont été produits chaque jour
- En 2018 : 1 346 000 barils ont été produits chaque jour, deux fois moins qu’en 2013
- 28 janvier 2018 : Le gouvernement américain annonce qu’il n’achètera plus de pétrole vénézuélien
- janvier 2019 : la production baisse de 142 000 barils par jour
- Mars 2019 : les citernes du centre de stockage Petro San Félix explosent
- Les observateurs estiment que le pays aura du mal à produire plus d’un million de baril par jour en 2019
Malgré l’importance des hydrocarbures dans son secteur énergétique (et économique), le Venezuela tire la majorité de son électricité de ses ressources hydrauliques : 63,6% de son mix-électrique. En 2012, la production des installations hydroélectriques du pays s’est élevée à 82,4 TWh. Si ce volume traduit une légère baisse par rapport à 2011 (-1,5%), la puissance cumulée du parc n’a cependant pas cessé d’augmenter ces dernières années. Elle approchait les 20 000 MW début 2013.
Fin 2012, le Venezuela comptait 2 700 MW de projets hydrauliques en construction et 8 000 MW planifiés. Le Venezuela souhaite néanmoins diversifier son mix-électrique en développant l’énergie éolienne et le nucléaire. Le parc éolien Los Taques, d’une puissance de 100 MW, a été lancé fin 2012 dans la péninsule de Paraguana. Première installation éolienne du pays, il se verra bientôt secondé par le parc (75 MW) de l’île Margarita et le parc de la région semi-désertique de la Guajira (100 MW). Ces projets témoignent d’une vraie ambition de création d’une filière énergétique puissante autre que le pétrole. Le renouveau du Venezuela peut commencer par l’exploitation de son potentiel d’énergie renouvelable.
Un pays profitant d’une rente pétrolière doit effectuer des investissements massifs dans ses infrastructures pétrolières ce que n’a pas réalisé le pays. Le Venezuela a vu sa production divisé par 2, son PIB divisé par 2, une inflation colossale, une exode de 3 millions d’habitants vers le Brésil ou la Colombie, l’économiste Christian Saint-Étienne parle d’un pays qui “ se vide de l’intérieur “. Selon la Banque mondiale 90% de la population vit aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté.
Des pays comme l’Argentine ont pu connaître des difficultés économiques mais ont su transformer ses secteurs d’activités. Il est évident que le Venezuela ne pourra sortir de cette crise qu’avec une refonte en profondeur de son économie et de son mode de fonctionnement. Cependant, il faut tout même prendre conscience que le pays traverse l’une des crises les plus dramatiques au monde et pourrait bien dégénérer dans la violence si les tensions politiques restent autant exacerbés.
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